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La folie du droit d’auteur européen
20 juin 2015, par
Voir en ligne : Electronic Frontier Foundation
Traduction en français :
La Haute Cour du Royaume-Uni vient de rendre une excellente décision. Excellente parce qu’elle est tellement déraisonnable, tellement loin de la réalité et tellement déconnectée des besoins et attentes des utilisateurs, qu’elle constitue une illustration parfaite de l’urgente nécessité de réformer la directive européenne sur le droit d’auteur, tant elle est obsolète et déséquilibrée.
En résumé, la Cour annule une décision du gouvernement britannique permettant aux utilisateurs de copier légalement les contenus qu’ils ont acquis pour usage privé, en raison de l’absence d’un prélèvement obligatoire visant à indemniser les ayants droit pour le “préjudice” qu’ils subissent du fait de la copie privée. Le gouvernement doit maintenant choisir entre (i) interdire la copie privée, (ii) démontrer que les ayants droit ne subissent aucun préjudice (ou un préjudice négligeable) du fait de la copie privée, (iii) instaurer une nouvelle redevance pour compenser le “préjudice” subi par l’industrie.
L’idée selon laquelle toute utilisation d’une œuvre protégée (ce qui, pour des œuvres numériques, implique généralement une copie) doit faire l’objet d’une compensation financière au profit des ayants droit, n’est pas justifiée au regard du droit d’auteur. Le droit d’auteur est un droit d’exclusivité accordé par la loi, qui ne peut donc être limité ou supprimé que par une autre loi. Ainsi, les limitations et exceptions au droit d’auteur font partie intégrante de l’exclusivité accordée aux ayants droit.
Cependant, en mai 2001, avec l’adoption de la directive “droit d’auteur” de l’Union Européenne (2001/29), ce qui était jusqu’alors un principe bien établi du droit d’auteur britannique a subitement fait l’objet d’une nouvelle restriction : il y est stipulé en effet qu’aucune nouvelle limitation ou exception ne peut être introduite sans une compensation aux ayants droit, à moins qu’elle n’entraîne pour eux aucun préjudice ou un préjudice négligeable.
Saisissant l’occasion d’utiliser cette directive supranationale pour annuler une loi démocratiquement adoptée, les groupes de pression de l’industrie musicale (Union des Musiciens du Royaume-Uni, et Académie Britannique des Paroliers, Compositeurs et Auteurs) ont poursuivi le gouvernement du Royaume-Uni en faisant valoir que, oui, en effectuant une copie du contenu que vous avez acheté, chez vous et pour votre usage exclusif, vous êtes bien la cause d’un préjudice à leur détriment.
Dans un jugement de 107 pages (PDF) montrant davantage d’érudition économique que de bon sens, la Haute Cour a examiné l’argumentaire de l’industrie selon lequel, puisqu’un contenu qui peut être copié a plus de valeur qu’un contenu qui ne peut pas l’être (nous ne contestons pas ce point), l’ayant droit doit pouvoir s’approprier cette valeur supplémentaire - prétention plus que douteuse, mais à laquelle la directive européenne sur le droit d’auteur confère une certaine crédibilité.
La réponse du gouvernement était que le bénéfice dont profitent les consommateurs du fait de la possibilité de faire des copies fait déjà l’objet d’une compensation aux ayants droit puisqu’il est inclus dans le prix payé par les acheteurs des œuvres. Il n’y a donc pas de préjudice. Le problème, a souligné la Cour, est que le gouvernement n’a pas pleinement satisfait à l’obligation de démontrer que tel est bien le cas.
Tout en admettant que la directive “droit d’auteur” n’implique pas que “les vendeurs doivent pouvoir extraire le dernier carat de valeur de l’œuvre”, le tribunal a jugé que l’exception de copie privée a pu entraîner une perte de chiffre d’affaires (par exemple, cette exception a pu dispenser certains consommateurs d’acheter une copie supplémentaire de leur CD préféré pour en profiter dans leur voiture), et que le gouvernement n’a pas démontré que ce manque à gagner était nul ou négligeable.
Cette décision est si mauvaise qu’elle est finalement une excellente chose. Non pas que nous pensions que le gouvernement a apporté la preuve que le tribunal exigeait, mais parce que l’idée qu’il incomberait au gouvernement de produire ce genre de preuves avant d’autoriser les consommateurs à faire des copies privées des contenus achetés montre à quel point la loi sur le droit d’auteur est déconnectée du monde réel.
À l’âge numérique, la possibilité de copier légalement une œuvre protégée ne peut en aucune façon être considérée comme une valeur s’ajoutant à celle qu’elle aurait dans un univers hypothétique où elle serait incopiable. Dans de nombreux cas, il est tout simplement impossible de faire usage d’une œuvre numérique protégée sans en effectuer au moins une copie, parfois plusieurs. Il est absolument justifié que ces copies soient légales, sans nécessiter un prélèvement additionnel ou une licence supplémentaire consentie par l’ayant droit à titre onéreux.
Exiger que le droit de copie légale d’une œuvre soit incorporé dans la valeur de chacune de ses particules élémentaires, et octroyer aux ayants droit toute latitude d’en tirer profit, est un non-sens à tous égards : c’est administrativement impraticable, cela constitue un obstacle à l’usage loyal et à l’innovation, et cela n’a aucun fondement juridique ou moral justifié par la substance même du droit d’auteur.
Si nous pensons donc que le tribunal s’est trompé en abondant dans le sens de l’argumentation de l’industrie en vue de prendre sa part de la valeur liée à la copie privée, le tribunal ne porte pas à lui seul la responsabilité de cette jurisprudence calamiteuse. Comme souligné plus haut, la faute en incombe aussi à une directive européenne rigide et unilatérale sur le droit d’auteur.
Nous ne pouvons pas non plus absoudre totalement les ayants droit ; même si une loi stupide est clairement une invitation à en tirer profit, encore faut-il une forme assez particulière d’avidité mercantile pour tenter de démanteler l’exception permettant aux gens de faire librement des copies privées des CD, vidéos et images dans l’intimité de leur domicile. Et ne nous méprenons pas : l’industrie du disque aux États-Unis ne manquera pas de tenter la même manœuvre si elle pense pouvoir le faire.
La décision d’aujourd’hui met en évidence les pires aspects du droit d’auteur, et dans cette mesure elle est une excellente illustration de la nécessité d’un changement. Elle renforce l’argument de milliers de citoyens européens ayant fait valoir que la directive “droit d’auteur” doit être amendée d’urgence, par des mesures telles que l’introduction d’une exception d’usage équitable. Malheureusement, le récent refus par la Commission des Lois du Parlement européen de recommander une telle exception, proposée par la députée (MEP) Julia Reda, n’est pas de bon augure pour le succès du débat en cours.
Mais peut-être cette décision stupide est-elle précisément ce qu’il fallait pour faire monter la température d’un degré, et pousser à l’offensive les consommateurs britanniques. Après des années de lobbying pour l’exception de copie privée, cette défaite au profit de l’industrie musicale met en lumière les abus que permet un droit d’auteur déséquilibré au détriment de la liberté des utilisateurs loyaux des œuvres protégées. Il est grand temps de remettre la législation européenne du droit d’auteur en phase avec la réalité.