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25 octobre 2008, par
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De son vivant, Duke Ellington était certes un musicien à la fois populaire et respecté, y compris et surtout par ses pairs, mais il était aussi une célébrité, sa musique était familière, il faisait partie du paysage culturel ambiant. Sa popularité dépassait largement le cénacle des aficionados du jazz. Au même titre que Louis Armstrong, il incarnait l’image d’un musicien de jazz classique assez talentueux et séduisant pour être à sa place dans la discothèque de n’importe qui ayant un minimum de bon goût.
Ceci est toujours vrai aujourd’hui, mais depuis quelque temps j’entends de plus en plus souvent musiciens et commentateurs des générations nées après 1960 parler d’Ellington, ce qui est en soi une nouveauté. Je perçois en outre une manière nouvelle de l’aborder et de le comprendre.
Les “initiés” des générations précédentes (Boris Vian, André Hodeir, etc.) avaient dit des choses apparemment définitives et très intelligentes à son propos. Les musiciens et musicologues qui n’ont pu le connaître avant 1974 ont forcément une approche différente.
Ce qui est frappant est tout d’abord la fascination qu’ils expriment. Je veux dire par là que, comme leurs aînés, ils éprouvent une grande admiration, mais ils ne cherchent pas à la justifier par des analyses profondes ; ils sont impressionnés, bluffés même. Cela relève du mystère plus que de l’adhésion raisonnée. À les entendre (à entendre leur musique, veux-je dire), ils ne s’inspirent pas directement de lui, ce qu’ils font aujourd’hui est très différent. Mais tous le citent comme une référence majeure.
Deuxièmement, ils (les musiciens nés après 1960) montrent une connaissance étendue (plus esthétique que théorique) de l’œuvre ellingtonienne. Ne le voyant plus comme un confrère ou un modèle mais comme une référence historique, une balise, ils parlent de lui comme d’une évidence ayant profondément influé sur ce qu’est la musique aujourd’hui, y compris la leur. Et à ce titre, ils mentionnent des choses telles que Mood Indigo ou les introductions pianistiques de Duke exactement comme pourrait le faire un mathématicien contemporain à propos des contributions de Gauss, Laplace ou Poincaré : des acquis sans lesquels on n’en serait pas là à ce jour, et qu’il n’y a plus lieu de commenter, discuter ou valider. [1]
Il semble que la place d’Ellington au panthéon soit en train de se consolider. L’œuvre est mieux reconnue, sa connaissance mieux partagée. Elle émerge comme un chapitre essentiel de l’histoire. Elle se “monumentalise”. Pour ceux qui comme moi ont été de ses contemporains (presque) inconditionnels, avec le sentiment d’appartenir à une coterie, c’est un coup de vieux.
Le seul “initié” à ma connaissance qui ait abordé Ellington dans le passé avec cet état d’esprit fut Igor Stravinski, pourtant né seize ans avant lui (mais il parlait de lui comme un chef d’orchestre évoquant un confrère, alors que l’un et l’autre étaient bien davantage que cela).
Puisqu’on évoque Stravinski, il est intéressant d’écouter le premier mouvement de la Fragmented Suite For Piano And Bass (un duo piano & contrebasse), et plus particulièrement la seconde version, enregistrée le 8 janvier 1973 au cours de la session “Duke’s Big Four” [2] : les sonorités étranges du duo Ellington-Brown, à la fin du morceau, rappellent irrésistiblement le Sacre du Printemps.
[1] Sans même parler de l’extraordinaire “The Clothed Woman”, qui intrigue et fascine depuis pus d’un demi-siècle.
[2] Version non publiée dans le CD mais uniquement dans le DVD “The Last Jam Session”