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mardi 2 juin 2009 / 20 juin 2009, par
Voir en ligne : Non à la commercialisation du gratuit (Claude Allègre)
Monsieur Allègre,
Internet est un espace public, au même titre que les rues de votre ville ou les chemins de votre campagne.
Certaines choses y sont gratuites, d’autres s’échangent contre de l’argent.
Vous léchez les vitrines des commerçants sans rien leur devoir (et ça leur fait plaisir), vous admirez les monuments et les paysages sans payer. Si vous consommez un café à la terrasse d’un bistrot, vous le payez. Vous lisez gratuitement les couvertures des magazines exposés, mais vous payez ceux que vous emportez.
Vous visitez la plupart des sites web gratuitement. Vous y faites éventuellement des achats en les réglant avec votre carte bleue. Mais vous pouvez aussi payer avec cette même carte l’accès à certains sites payants. Il y a des contenus payants et des contenus gratuits, vous êtes libre de choisir. Vous pouvez acheter MSOffice ou télécharger gratuitement OpenOffice.
Certaines choses y sont permises, d’autres sont interdites.
Vous pouvez entrer dans un cinéma pour y visionner un film X (en payant votre entrée) à condition d’avoir 18 ans. Vous ne pouvez pas emporter un bouquin sans payer le libraire, ni vous promener à poil, ni agresser les passants, ni franchir un feu rouge. Une prostituée ne peut pas vous racoler ouvertement. Vous pouvez draguer une fille dans un bar si elle n’y voit pas d’inconvénient. Elle peut aussi vous gifler si vous lui manquez de respect. Si un passant vous injurie, vous pouvez vous plaindre au commissariat du quartier.
Sur le web, vous pouvez visiter des sites érotiques, mais pas de site pédophile. Vous pouvez exprimer votre désaccord avec un éditorial du Point (que vous avez pu lire sans payer), mais pas insulter ce bon M. Allègre qui en est l’auteur : il s’en plaindrait à juste titre. Vous ne pouvez pas pirater (en supposant que vous en soyez capable) le site de la FNAC pour y télécharger sans les payer des films qui y sont mis en vente.
Dans la rue, vous êtes quelquefois surveillé, quelquefois vous ne l’êtes pas. Il y a des policiers qui patrouillent, ou qui sont prêts à intervenir si nécessaire. En certains lieux, il y a des caméras de surveillance (mais vous ne savez pas vraiment s’il y a bien quelqu’un derrière l’écran pour vous observer). Sauf exception, vous pouvez vous promener avec une cagoule sur la tête (à vos risques et périls toutefois : je ne vous recommande pas d’entrer ainsi affublé dans une banque ou une bijouterie). Rien ne vous empêche de vous promener à moto avec un casque intégral sur la tête, c’est même obligatoire. Si vous vous déplacez en taxi, vous n’avez pas à donner votre identité au chauffeur.
Sur le web, votre comportement est souvent épié (pas toujours), généralement pour des raisons commerciales (tout ce que vous faites en surfant chez Google est analysé), mais aussi pour les mêmes raisons qui expliquent la présence de policiers et de caméras dans nos villes : vous empêcher d’enfreindre la loi impunément, et vous protéger des agressions dont vous pourriez être l’objet. Votre adresse IP est généralement connue des administrateurs des sites que vous visitez, et toujours connue de votre fournisseur d’accès. Vous pouvez aussi surfer dans l’anonymat, ce n’est pas interdit. Mais votre fournisseur d’accès le saura (sans toutefois savoir où vous vous êtes promené).
Si vous draguez une mineure sur une messagerie en ligne, l’expérience récente a montré que vous risquez fort de vous faire prendre, de même si vous importunez des lycéennes à la sortie du bahut.
Sur le web comme dans la ville, il existe des malfrats, des voleurs, des voyous, des trafiquants, des cinglés dangereux. Il y a des vendeurs à la sauvette de marchandises volées ou prohibées. Ils sont surveillés, traqués, poursuivis. La police et la justice disposent de moyens techniques pour ça. En cas d’infraction caractérisée et incontestable, vous serez poursuivi, jugé et condamné par un tribunal, en vertu de la loi et avec les garanties offertes par la procédure pénale.
Le web n’est donc pas davantage une “jungle inextricable” que les rues de votre ville ; pas moins non plus : il est pareil, il en est le prolongement.
Fallait-il alors que l’État, en imposant le dispositif Hadopi, aille plus loin dans la surveillance et la répression sur le web qu’il ne le fait dans la rue ? Qu’il remplace la présomption d’innocence par celle de culpabilité ? Qu’il fasse appel à des milices privées pour vous surveiller et vous dénoncer en cas de vol à l’étalage ? Qu’il agisse en auxiliaire des services de sécurité des grands magasins ? Qu’il inspecte votre courrier avant que le facteur le dépose dans votre boîte ? Qu’il écoute vos conversations privées ? Qu’il vous interdise l’accès aux rues “chaudes” (ou supposées telles par un organisme dont la neutralité n’est nullement garantie) ? Qu’il vous condamne sans jugement en cas d’infraction réitérée et constatée au moyen de preuves douteuses ? Qu’il surtaxe vos déplacements au prétexte qu’en vous promenant vous pourriez éventuellement chiper une babiole à un marchand ?
Je ne le crois pas. J’entre donc dans la clandestinité internétique : je ne me sens plus ni en sécurité ni en liberté dans un espace numérique régi par un droit d’exception. Je chiffrerai désormais mon courrier, je me promènerai masqué quand je ne souhaiterai pas être traqué. Des millions de gens feront de même. La vraie délinquance internétique sera alors noyée dans un magma crypté et anonyme qu’il deviendra de plus en plus difficile d’“organiser” comme vous dites (je préfère dire “surveiller”). La cybercriminalité française [1] a de beaux jours devant elle.
J’ai été jusqu’ici séduit par la neutralité, l’ouverture et la créativité de l’espace internétique, qui à mes yeux ouvrait la voie à une société différente de celle que vous et moi avons connue ces dernières décennies, et qui ne peut vous satisfaire j’en suis sûr. Je déplore que vous et vos semblables tentiez d’empêcher ce renouveau et cherchiez à reproduire dans l’espace numérique les vieux démons du siècle des deux guerres mondiales, de la destruction de la planète et des intolérances meurtrières. Je suis inquiet à l’idée que vous pourriez réussir.
Pour ces raisons, vous avez mérité ceci :
[1] Les autorités américaines, par exemple, ont rejeté jusqu’ici cette option pour éviter la généralisation du chiffrement et de l’anonymat.